Paris et les parisiens

Nous voudrions, pour conclure, tâcher de définir par quelques traits Paris et les Parisiens, la physionomie de la ville, le caractère, les goûts, le genre de vie de ses habitants.

Si l'on considère l'aspect général de Paris, on reconnaît aisément qu'il s'y trouve plusieurs villes, pour ainsi dire, très différentes les unes des autres, ayant chacune sa physionomie, son pittoresque et parfois même ses mœurs particulières. Auteuil ressemble aussi peu que possible à Grenelle, dont il n'est séparé que par 300 mètres de rivière ; autant le faubourg Saint-Germain est calme, autant le quartier Montmartre est animé ; le quartier latin, les régions voisines du Luxembourg ont aussi leur individualité et leur cachet très personnel.

Chacun choisit, en général, pour y habiter, le quartier le plus conforme à ses goûts, à sa fortune et à la nature de ses occupations.

Si le genre de vie diffère, il n'en est pas moins certain que les Parisiens ont entre eux une foule de traits communs, une solidarité de caractère qui les unit et les rend facilement reconnaissables. Et notez que, par Parisiens nous n'entendons pas seulement parler de ceux qui sont nés à Paris, mais encore de tous les habitants de Paris, de tous ceux qui prennent part à la vie fiévreuse, au mouvement incessant de la capitale.

Prompt à l'enthousiasme, le Parisien est séduit par tout ce qui est brillant et a du prestige. Il use et parfois abuse des belles phrases, plus sonores que profondes. Les orateurs qu'il acclame le plus ne sont pas toujours les plus raisonnables, mais ils ont bien parlé, ils ont « enlevé leur auditoire », et cela suffit.

Cependant, on aime surtout à Paris ce qui est réellement beau et grand. C'est un goût naturel et très vif que celui qu'on y éprouve pour le théâtre : bien des Parisiens oublient de dîner pour aller entendre le drame en vogue ; mais les jours de représentations gratuites, ce sont toujours nos grandes scènes littéraires et lyriques où la foule court de préférence.

Le parisien est badaud par excellence. Voyez, dès qu'arrive un de ces accidents malheureusement trop fréquents dans nos rues, quel rassemblement se forme aussitôt : on se presse, on se bouscule pour voir, savoir ce qu'il y a eu, et, longtemps après que la cause de l'émotion a cessé, on a peine encore à se séparer, les commentaires continuent. Le Parisien se complaît dans le brouhaha, le tumulte de sa ville, qui abasourdit et effraye tant ceux qui n'en ont pas l'habitude ; lui, il s'y meut à l'aise ; il se glisse à travers la foule, au milieu des voitures et presque sous les pieds des chevaux.

Nulle part le commerce n'est aussi actif qu'à Paris. Sans même parler de ces luxueux magasins, de ces bazars immenses, célèbres dans tout l'univers, la moindre petite boutique y réalise chaque jour un chiffre d'affaires fait pour étonner. Nulle part on n'est si inventif, si ingénieux à produire du nouveau. L'article de Paris est un produit spécial à la grande ville et qui ne saurait se fabriquer ailleurs, comme il ne peut non plus se définir. Il y a un véritable génie, de la part des Parisiens, à l'inventer, à le renouveler sans cesse. La mode aussi naît à Paris et, de là, se répand partout. L'élégance parisienne, le chic, — si l'on nous permet cette expression un peu vulgaire, — se reconnaissent au premier coup d'œil ; tout le monde convient que les Parisiennes donnent le ton et sont les arbitres incontestables de toute mode nouvelle.

Faut-il parler de l'esprit parisien ? Où la plaisanterie existe-t-elle plus franche, la riposte plus rapide et plus malicieuse ? Le gamin de Paris, l'ouvrier des faubourgs en ont une inépuisable provision ; jamais ils ne restent court, comme on dit : entre eux, c'est un assaut constant de quolibets et de saillies ; à Paris surtout, on est sûr du succès quand on a les rieurs de son côté.

L'ouvrier parisien travaille vite, travaille bien et avec goût. A ce qu'il fait, il imprime en quelque sorte un cachet particulier, une véritable marque de fabrique. Nous parlions tout à l'heure des modes, des articles de Paris ; c'est bien là l'œuvre de ses mains : tout ce qu'il produit est habilement fait, joli, ou au moins gracieux ; l'art industriel est en pleine culture à Paris. L'ouvrier a ses défauts, cependant ; il dépense sans compter et sans toujours penser assez au lendemain. Il aime le plaisir et souvent un peu trop le cabaret.

On a dit beaucoup de mal de Paris ; on l'a traité de Babylone moderne où la corruption, la dépravation des mœurs seraient la loi commune ; mais le bon sens fait vite justice d'une pareille calomnie.

Il est certain que la population parisienne a ses bas-fonds où s'agite la foule des irréguliers, des déclassés, en rébellion contre la société et toutes ses lois, ceux qui, de faute en faute, sont tombés dans le crime et ne sauraient redevenir honnêtes. Mais il en est ainsi dans toutes les grandes agglomérations d'hommes, à Londres, à Berlin, à Vienne et dans les autres grandes capitales : c'est là, malheureusement, leur plaie incurable.

A ce qu'il peut y avoir en lui de bas et de coupable, Paris oppose triomphalement tout ce qu'il a de noble et de beau : ses établissements d'instruction, ses musées, ses académies, ses bibliothèques, ses conservatoires, ses théâtres, ses établissements charitables, tous ses monuments admirables. A cette population sans aveu, qui est en partie l'écume de toutes les nations du monde, Paris oppose sa population intelligente, travailleuse, économe, hospitalière, généreuse et polie.

Paris, enfin, a pour lui le témoignage des étrangers, qui reviennent chaque année plus nombreux, et l'attraction que notre grande cité exerce sur eux, proclame sa suprématie sur le monde civilisé.

Paris et les parisiens

Table des matières

Introduction

Livre Premier — Histoire de Paris

I. Lutèce. — Paris gallo-romain.

II. Paris sous les Mérovingiens et les Carolingiens.

III. Paris sous les Capétiens

IV. Paris sous Philippe-le-Bel

V. Paris sous les Valois. — Philippe VI et Jean le Bon.

VI. Paris sous les Valois. — Charles V.

VII. Paris sous les Valois. — XVe siècle.

VIII. Paris sous les Valois. — XVIe siècle.

IX. Paris sous les Bourbons. — Henri IV, Louis XIII.

X. Paris sous les Bourbons. — Louis XIV.

XI. Paris sous les Bourbons. — Louis XV.

XII. Paris sous les Bourbons. — Louis XVI.

XIII. Paris sous la Révolution.

XIV. Le Consulat et l'Empire.

XV. Paris sous la Restauration.

XVI. Paris sous Louis-Philippe.

XVII. Paris sous la République de 1848.

XVIII. Paris sous le second Empire.

XIX. La guerre de 1870.

Livre II — Monuments de Paris

I. Époque gallo-romaine.

II. Architecture romane (époque capétienne).

III. Architecture ogivale.

IV. La Renaissance.

V. L'architecture au XVIIe siècle.

VI. L'architecture au XVIIIe siècle.

VII. L'architecture au XIXe siècle.

VIII. L'architecture, de 1848 à nos jours.

Livre III — Administration

I. Généralités.

II. Administration municipale. — Autrefois.

III. Administration municipale. — Aujourd'hui.

IV. Voirie. — Boulevards, rues, places, etc. — Circulation. — Cimetières. — Éclairage.

V. La Seine. — Canaux. — Eaux potables. — Égouts.

VI. Approvisionnements.

VII. Enseignement. — Bibliothèques.

VIII. Musées. — Théâtres.

IX. Assistance publique.

X. Police. — Prisons. — Pompiers.

XI. Grands établissements parisiens.

Paris et les parisiens.

Les environs de Paris.